Archives mensuelles : octobre 2019

Othello

© Théâtre de la Ville

D’après William Shakespeare – Mise en scène Arnaud Churin – traduction, adaptation et dramaturgie Emanuela Pace – au Théâtre de la Ville/Les Abbesses.

Un plateau gris bleu pour une scénographie sobre (Virginie Mira) et d’élégants costumes (Sonia Da Sousa), sert une gestuelle et des déplacements passant par le filtre des arts martiaux. Trois voiles de cette même nuance gris bleu, découpes en forme de maisons, sont amarrées et font fonction de cloisons mobiles, délimitant les différents espaces de jeu où se déroule l’action. Écrite en 1604, Othello est une pièce de la trahison, de la destruction, du meurtre et de la différence. Shakespeare pense son personnage éponyme comme un personnage noir de peau dans un contexte blanc – n’est-il pas le Maure de Venise, sous-titre de la pièce ? – C’est l’étranger. Ici, Arnaud Churin inverse le jeu et fait d’Othello le seul personnage blanc de la pièce, tous les autres rôles sont assurés par des acteurs noirs. La traduction de la pièce, par Emanuela Pace, prend en compte cette donnée.

Maure affranchi et brillant devenu général des armées vénitiennes, Othello a épousé Desdémone, une beauté noble et généreuse, sans en informer Brabantio son beau-père, haute personnalité de la République de Venise. Ce mariage secret, promotion et reconnaissance pour lui, est peu apprécié, et on l’accuse d’avoir séduit la belle. Officier sous ses ordres, un temps son confident, Iago, personnage énigmatique, cultive une haine farouche à l’égard d’Othello – il pensait mériter la promotion au rang de lieutenant qui fut attribuée à Cassio – déploie sa perfidie et élabore des plans machiavéliques. Il est assisté de Roderigo, gentilhomme vénitien. Sur fond de guerre contre les Ottomans, Othello part défendre Chypre, ses officiers et sa femme l’accompagnent. Profitant d’une violente tempête qui détruit la flotte de l’ennemi, sournoisement, Iago met en place ses odieux plans en utilisant Cassio pour semer le doute dans l’esprit d’Othello quant à la fidélité de Desdémone. Manipulé par Iago, Othello tombe dans le panneau de la jalousie et donne ordre à Iago de liquider Cassio. Mais avant, sur les conseils de ce mauvais génie, il commet l’irréparable en étranglant son épouse. Quand Othello ouvre enfin les yeux, il voit sa méprise : Emilia, femme de Iago, amie et confidente de Desdémone en témoigne avant de mourir, Roderigo aurait aussi pu en témoigner s’il n’avait été assassiné, Cassio, blessé, raconte la trahison de Iago. Comprenant son aveuglement, Othello se donne la mort, aux côtés de sa femme et Lodovico, le Doge de Venise, ordonne à Cassio, successeur d’Othello comme gouverneur de Chypre, d’exécuter Iago.

Par son choix d’inversion – peau noire peau blanche – Arnaud Churin décale l’œuvre qui convoque la question noire et celle de l’altérité. Le couple shakespearien, Othello/Desdémone ici surprend (Mathieu Genêt, Julie Héga), non par cette inversion, mais on peine à lui trouver de l’harmonie : elle, est longiligne et sautillante, lui n’est pas cet habituel Otello massif, signe du chef de guerre, il en est tout le contraire. La crédibilité devient donc relative même si le nœud de la pièce le met en exergue, lui, Othello aimé et guerrier. Autour, Iago complote (Daddy Moanda Kamono), agi par les forces du mal, machination que la courageuse Emilia (Astrid Bayiha) dénonce avant de mourir en héroïne. Les autres personnages, forment comme un chœur, ils vont et viennent puis s’effacent au profit de l’histoire, les lumières (Gilles Gentner) renforcent leur côté inquiétant .

C’est une lecture imprégnée du réalisateur Akira Kurosawa que propose le metteur en scène. La gestuelle samouraï empruntée par les acteurs oblige à déplacer le regard de continents à continents. Et la ville des Doges devient une ville monde.

Brigitte Rémer, le 25 octobre 2019

Avec : Daddy Moanda Kamono, Iago – Mathieu Genet, Othello – Julie Héga, Desdémone – Nelson-Rafaell Madel Cassio – Astrid Bayiha, Emilia – Aline Belibi, Bianca et une conseillère du Doge – Denis Pourawa, le Doge de Venise et Lodovico – Jean-Felhyt Kimbirima, Roderigo –  Ulrich N’toyo, Brabantio et Montano. Collaboration artistique, Julie Duchaussoy et Marie Dissais – scénographie, Virginie Mira – costumes, Olivier Bériot et Sonia da Sousa – lumières Gilles Gentner – musique, Jean-Baptiste Julie – conseil artistique et arts martiaux,  Laurence Fischer – régie générale et son, Camille Sanchez

Du 3 au 19 octobre 2019 – Théâtre de la Ville/Les Abbesses – 31, rue des Abbesses, 75018 Paris – métro : Abbesses, Blanche, Pigalle – tél. :  01 42 74 22 77 – site : www.theatredelaville-paris.com – En tournée : 13 au 16 novembre, Théâtre Montansier de Versailles – 23 janvier, Théâtre de Chartres – 28 et 29 janvier, Espace Malraux scène nationale de Chambéry et de la Savoie – 24 au 28 mars, Le Grant T de Nantes.

Le Mariage

© Théâtre de la Bastille

D’après Witold Gombrowicz, traduction Paul Beers – spectacle de Timeau De Keyser et du Collectif Tibaldus – en flamand surtitré en français – au Théâtre de la Bastille.

Depuis plus d’une trentaine d’années le Théâtre de la Bastille ouvre ses portes à la scène flamande. Il accompagne aujourd’hui une nouvelle génération d’artistes portée par Guy Cassiers et le Toneelhuis d’Anvers, à travers le dispositif Project for Upcoming Artists for the Large Stage (P.U.L.S.) initié en 2017. L’objectif du programme consiste à faciliter l’émergence de la jeune création sur les plateaux, à favoriser le dialogue intergénérationnel et la recherche théâtrale. Pour porter ses essais artistiques le Collectif s’intéresse à l’auteur polonais Witold Gombrowicz, (1904-1969) révélé en France par Jorge Lavelli qui avait présenté Le Mariage en 1964, au Théâtre Récamier.  Après avoir travaillé à partir de sa pièce Yvonne Princesse de Bourgogne – écrite entre 1933 et 1935 – le Collectif Tibaldus prolonge les interactions avec les personnages et présente aujourd’hui sa vision du Mariage, texte d’une grande force poétique dont Gombrowicz a entrepris l’écriture à Buenos-Aires pendant la guerre, pour la terminer en 1948. La pièce a été publiée en français en 1965.

Soldat polonais envoyé en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Henri voit en rêve sa maison en Pologne et ses parents, Ignace et Catherine. La maison se transforme en auberge, les parents en aubergistes. L’Ivrogne rôde. Margot, fiancée d’Henri, servante à l’auberge, devient un enjeu de marchandage entre père et fils. Le premier, demande au second, de le faire couronner et s’engage à lui organiser un mariage dit convenable avec Margot. Mais en chemin Henri fomente de trahir son père. Celui-ci craint son fils à tel point qu’Henri se met dans la peau du personnage endossant réellement le rôle du traitre et passe à l’acte. Il chasse son père du trône, capture le pouvoir et s’autoproclame Roi espérant célébrer lui-même son mariage. Or, Margot a été bradée par l’Ivrogne à un ami d’Henri, Jeannot, en un simulacre d’union. Plein de jalousie, le jeune Roi devient mégalomane et tyrannique. On suit ses stratégies et ses faux-semblants, sa transformation en dictateur. La théorie du complot couve, Henri devient imprévisible, pénètre dans un monde onirique où il crée des personnages à son image, plein de vénération et d’obéissance. La cruauté, par la mort voulue de Jeannot, mène le Roi, persuadé de sa culpabilité, à ordonner qu’on l’arrête.

La pièce mène dans un monde fictif et mensonger où se mêlent les puissances divines et où il est difficile de démêler le vrai du faux. La rythmique de Gombrowicz, sa non psychologie des personnages, la déformation de la réalité et le va et vient de son héros entre monde intérieur et monde extérieur, apostrophent. Le Collectif Tibaldus s’est emparé de cette parodie qu’est Le Mariage et brouille les pistes. Il conduit le spectateur dans un véritable labyrinthe, interroge le théâtre en même temps qu’il questionne le genre, l’identité, la citoyenneté. L’adaptation scénique a la simplicité et la cruauté d’un jeu d’enfant.  Simplicité, par la théâtralité basée exclusivement sur le jeu des acteurs en jeans et tee-shirt ; cruauté, par le machiavélisme du personnage central, Henri. Un travail sur la polyphonie flamande intervient dès le début du spectacle, juste après l’énonciation du nom de chaque personnage, qui s’affiche sur écran. La polyphonie revient comme un commentaire, par vagues successives, augmentant cet air de drame shakespearien. Chaque acteur a plusieurs rôles, glissant de l’un à l’autre, l’air de rien et change de visage. Comme les enfants le font dans leurs jeux, le travestissement est à l’honneur – ainsi la mère, jouée par un acteur -. La théâtralité passe par une esthétique du quotidien, on construit des châteaux de sable que la mer vient recouvrir et détruire tranquillement.

Les acteurs du Collectif Tibaldus se sont rencontrés dans une école de théâtre et voulaient déconstruire l’objet spectacle pour apporter une autre lecture. Centré sur l’acteur et sur la narration ils posent la question du théâtre, du rapport de l’acteur au texte. Ensemble, avec leur belle énergie et leur présence permanente sur scène, ils traversent la pièce dans une sorte de somnambulisme. Henri crée le rêve et le rêve crée Henri, une situation en amène une autre, et les acteurs changeant de statut oscillent entre le jeu et le non jeu, devenant à certains moments eux-mêmes spectateurs et désacralisant le théâtre. Un carré de craie dessiné au sol marque ce changement.

Brigitte Rémer, le 15 octobre 2019

De et avec Lieselotte De Keyzer, Sander De Winne, Simon De Winne, Lieven Gouwy, Ferre Marnef, Hans Mortelmans, Katrien Valckenaers, Hendrik Van Doom – Régie Marie Vandecasteele.

Du 9 au 12 octobre à 20h30, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris – métro : Bastille – tél. : 01 43 57 42 14 – site : www.theatre-bastille.com. A voir aussi : New skin, de Hannah de Meyer, spectacle en français.

Abgrund / L’Abîme

© Arno-Declair – Les Gémeaux/Sceaux

Texte de Maja Zade, mise en scène de Thomas Ostermeier avec la Schaubühne de Berlin – Scène Nationale Les Gémeaux, à Sceaux – Spectacle en allemand surtitré français. Création en France.

Après une rapide initiation au fonctionnement du casque audio que l’on trouve posé sur chaque fauteuil du théâtre et que le spectateur est invité à porter, on s’introduit, presque par effraction, dans l’intimité d’une soirée organisée entre amis. Milieu bourgeois, pour ne pas dire bobo, nous sommes au cœur d’une grande et belle cuisine à l’imposante table centrale. Unité de temps et de lieu pour ce spectacle qui se déploie dans une scénographie efficace et pertinente où s’affichent sur écran, entre des moments séquencés, des mots-clés. Le couple hôte, Bettina et Matthias, finit de préparer les boissons et les mets tout en devisant avec le premier couple arrivé. Suivront, avec un léger retard, un homme seul, homo, et une femme. Ils sont trentenaires, parlent de tout et de rien avec aisance et certitude. Tous les sujets du quotidien défilent, sans peur des clichés, dans leur absurdité : la maison, le couple, le politique, les vacances, la musique, les projets, la cuisine, les enfants. Les deux filles de Bettina et Matthias – âgées de cinq ans et quelques mois – dorment paisiblement dans leur chambre, leur mère y jette un rapide coup d’oeil deux ou trois fois au cours de la soirée. Un travail filmique s’affiche sur des voilages comme des réverbérations sur l’eau en mouvement, et montre la chambre couleur de songe Tout est paisible, positif, léger, détendu et futile. La voix des acteurs est feutrée, ordinaire, comme à la maison – l’audition fine que permettent les casques souligne l’intimité – et les personnages tiennent entre eux la bonne distance sociale, amicale et complice. De temps en temps le débat existentiel s’anime ou dérape, avec maîtrise.

Et la soirée suit son cours, dans ce langage si près de la réalité, selon une tension dramatique qui va monter crescendo, jusqu’au point de bascule et jusqu’à la tragédie, comme un coup de grisou. L’insoutenable s’étant invité dans la maison, l’auteure, Maja Zade, emmène le spectateur là où on ne l’imaginait pas, dans un acte de déconstruction proche du cauchemar, de déstructuration du temps, de chaos intérieur. Et elle observe en entomologiste les réactions des invités en état de choc et qui ne savent plus comment se comporter. Elle les regarde dévisser, face à l’Abîme.

Dramaturge à la Schaubühne depuis vingt ans, Maja Zade est aussi traductrice. Abgrund, L’abîme est sa seconde pièce, créée à Berlin en avril dernier par Thomas Ostermeier. Status Quo, la première, mise en scène par Marius von Mayenburg, fut présentée à la Schaubühne, en janvier. Le monde qu’elle dépeint reste une énigme, comme la vie peut-être. Thomas Ostermeier donne sa lecture, par la projection des interactions entre les personnages, avec la finesse et l’intelligence qu’on lui connaît. Il guide magnifiquement les acteurs, chacun à sa place, échappant à toute caricature, Bettina et Matthias, le couple invitant, est particulièrement remarquable (Jenny-König et Christoph-Gawenda).

Metteur en scène et co-directeur de la Schaubühne de Berlin avec la chorégraphe Sacha Waltz, Thomas Ostermeier poursuit son parcours d’excellence. Ses choix d’œuvres et d’auteurs sont éclectiques, il a entre autres fréquenté Ibsen, Shakespeare, O’Neil, Lars Noren, Thomas Mann, Büchner, Tennessee Williams, Yasmina Reza, Schnitzler, Sarah Kane, John Fosse et bien d’autres encore. Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux l’accueille depuis une quinzaine d’années. Ce spectacle, L’Abîme / Abgrund porte le trouble, avec son scénario du pire, dans une théâtralité remarquée.

Brigitte Rémer, le 14 octobre 2019

Avec : Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Jenny König, Laurenz Laufenberg, Isabelle Redfern, Alina Stiegler, Svea Derenthal ou Keziah Bürki. Dramaturgie Maja Zade – lumières Erich Schneider – musique Nils Ostendorf – son Jochen Jezussek – vidéo Sébastien Dupouey – décor et costumes Nina Wetzel.

Du 3 au 13 octobre 2019, du mardi au samedi à 20h45, dimanche à 17h, Les Gémeaux-Scène Nationale de Sceaux, 49 avenue Georges Clémenceau. 92330. Sceaux – RER B station Bourg-la-Reine – site : www.lesgemeaux.com – tél. : 01 46 61 36 67

Electre des bas-fonds

© Antoine Agoudjian

Texte et mise en scène Simon Abkarian, musique écrite et jouée par le Trio Howlin’ Jaws,  Compagnie des 5 roues, au Théâtre du Soleil / Cartoucherie de Vincennes.

Le spectacle ouvre sur un prologue porté par la narration et les imprécations de Kilissa, nourrice aveugle, sorte de Tirésias au féminin (Maral Abkarian). Du côté jardin où elle se trouve, elle est l’ombre de tous les événements de la pièce qu’elle accompagne de son récit : « Au cœur d’un antique royaume, posée sur le miroir du monde, sans vigie ni capitaine, une barque tangue sur une mer inquiète. » A l’opposé, côté cour, le territoire des musiciens qui ponctuent l’action de leurs compositions attentives, rock et blues, et entrent dans la danse en des tonalités moyen-orientales, dialoguant avec les acteurs de leurs guitares (Lucas Humbert), batterie (Baptiste Léon) et contrebasse (Djivan Abkarian). Au centre, en fond de scène, une sorte de castelet tapissé de glaces – la pièce se déroule dans un bordel des bas-fonds, à Argos – qui permet des apparitions et disparitions, des transformations et interprétations, entre luxure et mort. Quelques marches mènent du plateau aux entrailles du théâtre et permettent des entrées solennelles ou des surgissements dansés.

Désavouée par Clytemnestre sa mère, après l’assassinat de son époux et père d’Electre, Agamemnon, en représailles au sacrifice d’Iphigénie, sœur d’Electre, cette dernière crie sa haine (Aurore Fremont) : « Ma haine est pure comme le feu. Tant que je n’aurai pas rattrapé tes ennemis, mes poumons n’auront plus de répit. » Déclassée, et vivant dans une extrême pauvreté, mariée à Sparos (Simon Abkarian) qui, comme un gardien de phare, veille sur elle et, par respect, ne consomme pas le mariage, elle attend le retour d’Oreste, son frère. « Que vienne Oreste ! » est le leitmotiv d’une partie de la pièce. Le texte de Simon Abkarian englobe tous les personnages de la tragédie grecque, en référence à LOrestie d’Eschyle dont il s’empare pour inventer, avec les acteurs et les musiciens, un univers d’images et un plaisir du théâtre qui se transmet du plateau à la salle.

La pièce traverse tous les thèmes de la mythologie : la liberté, la haine, la vengeance, le pouvoir, la puissance des dieux, le sens de la faute, la justice, la démocratie. L’auteur suit le parcours d’Electre, bannie, et les chemins d’Oreste, de la décision de son retour à Argos pour rétablir la justice jusqu’aux retrouvailles avec sa sœur. Drapé de blanc avec ourlet d’appliqués, travesti en femme du peuple et se mêlant au chœur, Oreste (Assaad Bouab), décide de son retour pour paraître au grand jour. « Où vas-tu » interroge Pylade, son ami (Eliot Maurel ou Victor Fradet). « Trouver la tombe de mon père et lui rendre un hommage qui ne peut plus attendre » répond Oreste. Et l’on suit leur traversée dans une coulée de lumière bleu profond (création lumière Jean-Michel Bauer et Geoffroy Agragna). Détruite par le traitement subi, la perte de son père et la pauvreté, Electre ne reconnaît pas son frère et demande des preuves. Le couteau offert par leur père, sur lequel sont inscrits les mots « Ne m’oublie pas » en est le témoin.

Avant l’arrivée d’Oreste, la rencontre entre Electre et sa mère est d’une grande violence, malgré le simulacre de gestes doux, esquissés par Clytemnestre soudainement maternelle (Catherine Schaub Abkarian). Electre sur le qui-vive entend son récit et la justification du meurtre de son père : venger la mort d’Iphigénie, fille aînée et préférée de sa mère. Le spectre d’Agamemnon apparaît par deux fois, ainsi que celui d’Iphigénie, qui hantent les mémoires. Electre est enchaînée comme un animal, par son beau-père Egisthe, roi de la veulerie faisant régner sa loi (Olivier Mansard). La haine va crescendo. Un long face à face entre Electre et Chrysothémis, sa sœur (Rafaela Jirkovsky), quatrième enfant de Clytemnestre et d’Agamemnon et qui semble avoir choisi le camp de la mère, livre le récit terrible de sa vie auprès d’elle, traquée par les avances de son beau-père. Quand Oreste et Electre sont enfin côte à côte, s’élabore la vengeance. Le texte fait référence à la toison d’or, par les cheveux d’Oreste et ceux d’Electre déposés sur la tombe d’Agamemnon, acte de reconnaissance.

La seconde rencontre entre Chrysothémis et Electre dévoile, devant Oreste, les extrêmes de la toute-puissance d’Egisthe, par le récit du viol de la première, consenti, pour sauver la seconde, récit d’une grande force : « Je suis morte sous le ventre d’un chien » commente Chrysothémis. Et la luxure dans laquelle règnent Clytemnestre et Égisthe, usurpateurs du trône, exacerbe les brûlures et fait basculer Oreste, prêt pour les meurtres. « Egisthe et ma mère doivent mourir. Mais si c’est mon frère qui venait à tomber, je m’ouvrirai le ventre » déclare Electre. La mort rôde en un personnage masqué portant frac et haut-de-forme, oiseau de mauvais augure pour de courts intermèdes. Oreste sort et exécute froidement Égisthe. Aucun cri, le silence. Puis il revient, vêtu de rouge et fait face à sa mère qui, sentant venir la mort dans les yeux de son fils, tente de le séduire, jouant sa dernière carte. D’abord tétanisé à l’idée de l’exécuter, Oreste pourtant passe à l’acte. Il sort, avec elle. Aucun cri, le même silence. Vacillant, il présente son cadavre à en perdre la raison en s’écriant : « Serpents et scorpions me barrent déjà la route, la panique danse devant mon cœur. Mon esprit ne sait plus quoi chercher. Toute hérissée, ma peau crie « sauve qui peut… Oreste n’est plus. Il rebrousse chemin. Recule en lui-même. Se terre dans la grotte du jadis où est gravé un mot que l’on ne peut détruire. Mère, mère, mère, mère, mère. »

Dans Electre des bas-fonds Simon Abkarian fait la part belle au chœur, multiforme et talentueux, bigarré à souhait et qui passe des tutus de tulle blanc aux tulles noirs, dans l’expression des costumes toujours rehaussés de détails personnels, imaginatifs et soignés. La vie éclate avec ce chœur des danseuses, d’inspiration indienne et extrême-orientale, moteur de l’action, qui ont, elles-mêmes et collectivement créé leurs chorégraphies. Fleurs dans les cheveux sur 33 T vinyle en guise de chapeaux, astucieux à souhait, chaussures pure fantaisie. Electre trouve sa place dans le chœur de ces filles des bas-fonds et croise certaines figures de la mythologie comme Hélène, fille de Zeus et de Léda, épouse de Ménélas, la plus belle femme du monde. Travesti en femme, au début comme à la fin de la pièce, Oreste se fond dans le Chœur jusqu’à disparaître. Le duo qu’il forme avec Pylade, compagnon de longue date, est dans la symétrie de celui qu’Electre forme avec sa soeur Chrysothémis.

Acteurs et musiciens se croisent au cours d’une scène finale dans le salon de thé tenu par le Choeur où Electre cède encore au désespoir, plongeant la tête dans un seau d’eau. Les danseuses la prennent en charge, l’habillent et la parent, lui posant sur la tête un diadème de feuilles rouges, lui nouant un collier autour du cou et lui passant un tutu blanc au son d’une sorte de saz à cordes pincées. Electre devient souveraine, portée par les moments chorals qui clôturent le spectacle, et par la prière adressée par Kilissa à Athena.

C’est un travail cousu-mains que propose la troupe rassemblée autour de Simon Abkarian, construisant une belle cohésion sur le plateau. Cet esprit de troupe, l’auteur-metteur en scène l’a notamment acquis pendant la huitaine d’années passée avec Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil. L’empathie qu’il développe avec ses personnages donne de la puissance au collectif. L’équipe d’acteurs est à saluer, individuellement, chacun/chacune construisant son parcours entre mythologie et fantaisie, et collectivement par le geste théâtral et dansé savamment travaillés, portés par le tempo musical du Trio des Howlin’jaws. Dans la magie de ce lieu chargé, le Théâtre du Soleil, Electre des bas-fonds s’inscrit, dans la lignée du Théâtre Populaire, au sens noble du terme et tel que le défend depuis des décennies Ariane Mnouchkine, la maîtresse des lieux.

Brigitte Rémer, le 10 octobre 2019

Avec : Simon Abkarian, Sparos et Mr Loyal – Catherine Schaub Abkarian, Clytemnestre – Maral Abkarian, Kilissa la nourrice aveugle – Aurore Fremont, Electre – Assaad Bouab, Oreste – Eliot Maurel ou Victor Fradet, Pylade – Rafaela Jirkovsky, Chrysothémis et choreute – Christina Galstian Agoudjian, Hélène et choreute – Chouchane Agoudjian, Fantôme d’Iphigénie et choreute – Nathalie Le Boucher, coryphée de danse – Annie Rumani, choreute – Frédérique Voruz, coryphée chef de chœur – Nedjma Merahi, coryphée choreute – Laurent Clauwaert, fantôme d’Agamemnon et deuxième Mr Loyal – Olivier Mansard, Egisthe – Maud Brethenoux, chanteuse choreute – Suzana Thomaz, choreute – Anais Ancel et Manon Pélissier, choreutes jumelles. Le Trio des Howlin’jaws : contrebasse et chant, Djivan Abkarian – guitare et chœurs, Lucas Humbert – batterie et chœurs, Baptiste Léon.

Du 25 septembre au 3 novembre 2019, mercredi, jeudi, vendredi à 19h30 – samedi à 15h – dimanche à 13h30 – au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes – site : www.theatre-du-soleil.fr – tél. : 01 43 74 24 08 – Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers.

Degas à l’Opéra

« La Loge » pastel sur papier (1885) © Musée d’Orsay

Exposition présentée par le Musée d’Orsay et de l’Orangerie, National Gallery of Art de Washington, l’Opéra de Paris à l’occasion de son trois cent cinquantième anniversaire, et avec le concours exceptionnel de la Bibliothèque Nationale de France – Commissaire général Henri Loyrette.

De l’Opéra, Edgar Degas capte les coulisses, les salles de répétition, l’entrée et la sortie de scène, le décor et le public, par quelques traits fougueux et parfois imprécis, dans une mêlée des couleurs. Il s’intéresse aux danseuses, aux musiciens de l’orchestre, aux spectateurs. Passionné de musique par son père, Degas prend l’opéra comme source d’inspiration majeure de son travail après avoir acquis un statut lui permettant d’y circuler, des coulisses au foyer. « Il fait très vite de l’Opéra son laboratoire, un endroit où il peut tester librement la question de l’éclairage, la forme et le fond » commente Henri Loyrette, commissaire général de l’exposition. Dans la salle de la rue Le Pelletier qu’il affectionnait particulièrement – salle détruite par un incendie en 1873 – et avant l’inauguration, en 1875, du nouvel Opéra construit par Charles Garnier, il observe, esquisse et expérimente. Il fait aussi longuement poser les jeunes modèles dans son atelier et rapporte avec une grande précision la position des bras, les pliés, la cambrure, la pointe et le cou-de-pied.

Né en 1834 dans une famille de la haute bourgeoisie, à l’origine de Gas, et doué d’un talent de dessinateur remarqué, Edgar Degas commence par fréquenter le Musée du Louvre et le cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale pour copier les œuvres des grands maîtres. Il est admis à l’École des Beaux-Arts de Paris comme élève du peintre Louis Lamothe, élève d’Ingres, avant de séjourner longuement en Italie pour se plonger dans la copie des maîtres de la Renaissance. Après son retour il expose, en 1865 au Salon de peinture et de sculpture, fréquente le café Guerbois, lieu de rencontre des artistes et intellectuels situé dans le quartier des Batignolles qu’il peint en 1868. Il séjourne pendant deux mois sur la côte normande, l’année suivante – à Étretat, Villers-sur-Mer et Boulogne-sur-Mer – où il dessine une série de paysages au pastel. Il participe à l’ensemble des expositions du groupe impressionniste dont la première a lieu en 1874, dans lesquelles il se montre actif. Il y expose, en 1881 sa sculpture la Petite Danseuse de quatorze ans – magnifique bronze fondu à la cire perdue de la taille d’une enfant, avec patine aux diverses colorations, tutu de tulle, ruban de satin rose dans les cheveux, posé sur un haut socle en bois – sculpture présentée dans l’exposition et qui, à l’origine, fit scandale. Plus de cent cinquante modèles en cire ou en terre seront d’ailleurs découverts dans son atelier après sa mort, en 1917. Les Impressionnistes le reconnaissent comme un des leurs même s’il privilégie les scènes d’intérieur, contrairement à eux, pour se protéger du soleil, ayant été sujet, très tôt, à des problèmes de vision. Une scission interviendra plus tard entre eux, en 1894, au moment de l’affaire Dreyfus.

Plus de deux cents oeuvres sont présentées au Musée d’Orsay, huiles, pastels, dessins et monotypes sur différents types de support – dont des éventails – mais aussi sculptures et maquettes de décors. Le parcours élaboré par les commissaires est construit en dix sections. Après une introduction au sujet intitulée « Génétique des mouvements » montrant très tôt l’intérêt de Degas pour le spectacle d’opéra, on plonge au cœur du sujet par la musique. La seconde section intitulée « Le cercle musical » témoigne des portraits de musiciens, d’instruments et d’instrumentistes. Ainsi le tableau Les Musiciens (1872/73) vus de la fosse d’orchestre, vêtus de noir, avec, au loin, la scène et les ballerines, ou celui de L’orchestre de l’Opéra ; des portraits, dont celui en gros plan de la pianiste Marie Dahau, sœur d’un joueur de basson qui avait commandé l’œuvre, et celui de Madame Camus au piano assise de dos, partition ouverte (fusain et crayon noir sur papier vélin, 1869).

« L’Opéra, de la salle Le Pelletier au Palais Garnier » troisième section, montre une imposante maquette de l’Opéra Garnier, réalisée avec force détails pour l’Exposition Universelle de 1900, à Paris. Un mur joliment scénographié met en relief des maquettes de décors : Aïda, l’Opéra de Verdi, datant de 1880 avec l’Acte III « les Rivages du Nil » ; Faust de Gounod dans son Acte IV « Les montagnes du Harz. » Des maquettes de costumes finement dessinées – aquarelle, gouache ou plume – comme celle de La Korrigane, conçue en 1880, pour le ballet de Charles-Marie Widor complètent cette partie.

La quatrième section intitulée « Salle, scène, coulisses » introduit aux premières classes de danse dessinées et peintes par Degas, à partir de 1870 :  entraînements à la barre, jetés, ronds de jambe, entrechats et pirouettes, bras arrondis et en suspens. Le regard fouille et le peintre travaille l’art du détail dans des jeux de miroirs. Ainsi, à côté des tutus blancs, des points de couleurs attirent le regard : émeraude, rouge, reflets bleus ou jaune paille, soie orangée, ceintures et rubans, nœuds dans les cheveux, rubans au cou, cheveux roux, chaussons rose pâle. Degas capte les danseuses y compris dans leur intimité et dans l’effort. Le Portrait d’amis sur la scène, portrait de Ludovic Halévy, dramaturge, romancier et librettiste, et celui d’Albert Boulanger-Cavé, inspecteur des spectacles publics, un pastel sur papier de 1879, sème le doute. Degas illustre les nouvelles des Petites Cardinal grand succès d’Halévy qui racontent les aventures galantes de deux danseuses de l’ancien Opéra de la rue Le Pelletier, monotypes en noir et blanc que le peintre définit comme des « dessins faits à l’encre grasse et imprimée. » Il s’invente aussi, quand de besoin, d’autres techniques, par exemple en enlevant l’encre pour créer de nouvelles formes.

La cinquième section : « Sérieux dans un endroit frivole, les abonnés », montre d’inquiétants personnages, messieurs vêtus de noir, chapeau claque, redingote et parapluie, plus ou moins dissimulés dans la coulisse et qui épient leurs protégées, jeunes danseuses principalement issues de milieux pauvres et proies idéales souvent livrées par leurs propres mères. On traverse le côté sombre de cet univers clos l’Opéra, basé sur la séduction et la domination. A deux pas de l’Opéra se trouve d’ailleurs une maison close. Dans Le Rideau, un pastel sur fusain et monotype monté sur carton, réalisé vers 1881, Degas met en scène un rideau décoré d’arbres et de verdure au trois-quarts baissé laissant apercevoir une ligne de jambes et de chaussons. Vu de la salle, les hommes patientent. Dans Deux hommes deux danseuses, pastel sur monotype de 1876/77, le premier couple est assis sur un banc, le second debout, hommes et jeunes femmes se parlent. Examen de danse, pastel sur papier datant de 1880, fait partie de cette série.

La sixième section, « L’Opéra, laboratoire technique », montre à quel point le contexte de l’Opéra a nourri Degas dans ses recherches en termes de supports et formats (éventails, tableaux en long), points de vue (le sujet vu en plongée ou en contreplongée, le sujet décentré), diversité des techniques. Ses tableaux sont soigneusement composés après de nombreuses esquisses jetées sur papier dans de petits carnets, et travaillées.  On trouve ainsi dans l’exposition des études comme La danseuse assise tournée vers la droite, une huile et peinture à l’essence sur papier bleu, esquissée vers 1873 ; des monotypes à l’encre noire comme Le Maître de ballet en 1876 ou Au théâtre, vers 1878 ; des négatifs sous verre mettant sur le devant de la scène une Danseuse du corps de ballet (vers 1896). La septième section se compose de formats particuliers sur lesquels Degas aimait à travailler, les « Tableaux en long », en fait, des doubles carrés. Ce format, qui pourrait évoquer une frise, lui permet de privilégier la diagonale. Le thème représente invariablement des danseuses dans une salle de répétition. On a l’impression de suivre une même danseuse dans les temps successifs de sa journée ou de son cours, comme en une sorte de décomposition du mouvement, façon Muybridge, ou comme une bande dessinée. Dans cette série, La Leçon de danse, tableau présenté au Salon impressionniste de 1880 ; Ballet, dit aussi L’Étoile, pastel sur monotype de 1876/77 où l’on voit une ballerine exécutant une arabesque, diadème dans les cheveux, ruban noir au cou, bouquet à la main, avec, en fond de scène à peine esquissées, le corps de ballet dans des volutes de tulle et de décors. Comme souvent, à l’abri d’un rideau, un homme à peine suggéré, observe. On voit aussi une ballerine penchée, ajustant son chausson, sa ceinture bleue attirant le regard, et une scène où Arlequin est aux pieds de la danseuse dans un décor rococo avec l’huile sur bois datant de 1895, Arlequin et Colombine.

Le thème de la huitième section traite des « Éclairages et points de vue ». Degas travaille l’incidence de la lumière sur les corps et sculpte le réel. Les lustres fastueux de l’Opéra sont mis en valeur, au moment où, au milieu du XIXe, apparaît l’arc électrique après que le gaz ait remplacé la bougie. Sont présentées dans cette section L’Opéra/Danseuses à la barre, dans l’ancien Opéra Le Pelletier (1877) pastel sur monotype dessiné depuis la scène, où les pointes en ligne des danseuses en tutus sont dans le même champ de vision que les premières rangées des spectateurs, et à peine suggérée par un indice noir, une épaule évoque la présence d’un homme aux aguets ; Étude de loge au théâtre, pastel sur papier de 1885, met en relief le visage penché vers la scène d’une spectatrice en surplomb qui se confond avec la statuaire de l’ornementation de la salle ; La Loge, montre des danseuses en mouvements et en couleurs, dans une atmosphère détendue.

Dans la neuvième section de l’exposition sont présentés les « Grands dessins synthétiques » d’Edgar Degas. A partir de 1886, après la dernière exposition des Impressionnistes, l’artiste se concentre sur le dessin au fusain, réalisé sur de grands formats, pour mieux capter le rythme du corps et des mouvements. « Une fois que je tiens une ligne, je la tiens, je ne la lâche plus » dit-il. Ainsi les Trois études d’une danseuse (1895/1900) ou la Danseuse assise (1873/74) graphite et fusain, avec rehauts de blanc sur papier rose mis au carreau ; Deux études de danseuses, l’une à la verticale, de face, en arabesque, l’autre à l’horizontale, de dos et réglant sa ceinture (vers 1873), pierre noire rehaussée de craie blanche sur papier vert. Toujours à la recherche de la perfection, Degas fait des esquisses, gros plans sur les pieds et les figures de danse. Dans la dernière section dite « Orgies de couleurs » les tutus blancs ressortent sur des fonds de couleurs soutenues et profondes. Ainsi les Danseuses bleues, huile sur toile de 1893/95 ; Trois danseuses en jupes saumon, pastel sur papier marouflé sur carton de 1904/1906 ; Deux danseuses au repos se détachant sur un fond jaune vif, pastel sur papier vélin fin, exécuté vers 1910 ; ou encore la Danseuse aux bouquets, huile sur toile, vers 1895/1900, où la ballerine au tutu violine, grand décolleté et fleurs dans les cheveux, reçoit des applaudissements, bouquets rouges entourés de papier blanc à ses pieds, avec en arrière-plan, un décor montagneux à la verdure abondante sous clarté diaphane.

Cette riche exposition, Degas à l’Opéra – présentée par le Musée d’Orsay et fruit d’un important travail, retrace l’histoire des petits rats, ces toutes jeunes filles de huit à seize ans que les mères poussaient parfois avec cruauté dans l’ascenseur social – a valeur documentaire. Issu du mouvement réaliste, avant d’être rattaché au courant impressionniste, Degas est au cœur des changements culturels de son époque qu’il observe finement, dessine, peint et sculpte avec beaucoup de relief et d’insolite, l’Opéra pour laboratoire. « Il faut avoir une haute idée non pas de ce qu’on fait « mais de ce qu’on pourra faire un jour » : sans quoi ne n’est pas la peine de travailler » écrivait-il.

Brigitte Rémer, le 5 octobre 2019

Commissaire général Henri Loyrette – Commissaires : Leïla Jarbouai, conservatrice arts graphiques au musée d’Orsay – Marine Kisiel, conservatrice peintures au musée d’Orsay – Kimberly Jones, conservatrice des peintures françaises du XIXe siècle à la National Gallery of Art de Washington – Autour de l’exposition, de nombreuses activités sont proposées telles que concerts, conférences, performance et spectacles (dont les 11 et 12 octobre un parcours spectacle, création de l’Opéra de Paris, sous la direction d’Aurélie Dupont, directrice de la danse à l’Opéra national de Paris et Nicolas Paul, chorégraphe).

Du 24 septembre 2019 au 19 janvier 2020, au Musée d’Orsay, grand espace d’exposition, 1 rue de la Légion d’Honneur. 75007 – métro : Solférino – site : www.musee-orsay.fr – tél. : 01 40 49 48 14. L’exposition sera ensuite présentée du 1er mars au 5 juillet 2020, à National Gallery of Art de Washington (États-Unis). Catalogue coédité par le Musée d’Orsay et la RMN (45 euros).

 

Canto General

© BR

Oratorio pour choeur, solistes, piano et bouzouki sur les poèmes de Pablo Neruda et la musique de Mikis Theodorakis – direction musicale, Jean Golgevit – chœur : Les Voix du Canto. Concert donné à la cathédrale Saint- Nazaire de Béziers le 15 septembre 2019.

 Le chœur Les Voix du Canto poursuit son travail et multiplie les rencontres avec les publics, sous la baguette du chef de chœur et musicien passionné, Jean Golgevit. Le choix de l’œuvre parle du monde : El Canto General, du grand poète chilien Pablo Neruda (1904-1973) homme engagé pour la démocratie et la défense des libertés dans son pays, magistralement mis en musique par le compositeur grec Mikis Theodorakis (né en 1925), tout aussi engagé dans le sien par son combat contre les dictatures des années 1960/80.

El Canto General est une immense fresque à la fois lyrique et épique que Neruda écrit dans la clandestinité sur une dizaine d’années à partir de la mort de son père, en 1938. Ce long poème où se mêlent les thèmes de l’oppression, de la révolte, des espoirs et des utopies, est alors interdit au Chili. Partant du continent sud-américain mais de portée universelle, l’oeuvre a valeur d’archétype. « Avec le Chant général, j’ai travaillé sur le terrain de la chronique et du mémorial, un terrain qui, les premiers temps, me parut rocailleux et inhospitalier. Mais soudain je découvris qu’il n’y avait pas de matériel antipoétique lorsqu’il s’agissait de nos réalités. Les faits les plus obscurs de nos peuples doivent être brandis en pleine lumière » écrit Neruda. Métaphorique, El Canto General touche à la conscience collective et comporte quinze sections, deux cent trente et un poèmes et plus de quinze mille vers.

Le poète et le compositeur se sont rencontrés à Paris où Neruda était ambassadeur, nommé par le Président Salvador Allende. Theodorakis a entrepris de mettre en musique, petit à petit, les sections et poèmes qui constituent l’œuvre. Les deux artistes se retrouvaient dans le pouvoir subversif de la poésie et un certain lyrisme.

Inlassablement sur le métier Jean Golgevit, – violoniste, compositeur et brillant pédagogue – remet l’ouvrage sur le métier, avec l’excellent chœur Les Voix du Canto qu’il a formé et qui se réunit et travaille à Montpellier. Ensemble, ils décryptent de nouveaux poèmes qui complètent, de concert en concert, l’œuvre magistrale. À la cathédrale Saint-Nazaire, Vienen los parajos est venu s’ajouter à la longue liste de poèmes déjà chantés en langue originale. Deux solistes les accompagnent : la magnifique mezzo-soprano Gabriela Barrenechea, née au Chili et travaillant en France, dont la voix percute avec force et douceur les méandres de la langue et les reliefs escarpés de la composition. Sa présence, et la puissance de sa voix – entre imprécations et chuchotements – lançant des passerelles au chœur, transmet à tous une grande intensité. Jean Christophe Grégoire Albertini, baryton au timbre puissant, rodé aux premiers rôles dans différentes configurations orchestrales, se passionne pour les oratorios et déploie son talent avec Jean Golgevit dans El Canto General, depuis plusieurs années. Deux instrumentistes complètent l’équipe et accompagnent le chant : le pianiste Pascal Keller, formé à la Hochschule für Musik de Berlin et qui cultive l’interdisciplinarité ; le bouzoukiste Dimitris Mastrogloglou qui apporte la couleur grecque locale et s’est spécialisé dans l’œuvre de Théodorakis dont « les mélodies ont bien souvent un petit air byzantin » dit-il. Un choriste et récitant, Jean-Claude Marc, auteur des textes de liaison entre les poèmes, les porte avec conviction et passion.

Dans le contexte majestueux et intime de la Cathédrale Saint-Nazaire, El Canto General prend toute son ampleur dans une mêlée de voix et d’instruments déclinée avec dextérité par la baguette de Jean Golgevit. Les quelques mots d’humanité et de fraternité écrits et lus par Monique Carton en début de seconde partie s’inscrivent dans la sensibilité de l’œuvre, fruit de la complicité entre deux grands artistes, Neruda et Theodorakis, en lutte pour la liberté. Lors de ce concert, sept chants étaient à l’affiche : Vegetaciones, Los Libertadores, Requiem Eternam – écrit par Théodorakis pour Neruda -, Voy a vivir, Vienen los pajaros, La United Fruit Company, America insurrecta. A ne pas manquer lors des prochaines programmations !

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2019

Avec Gabriela Barrenechea, mezzo-soprano – Jean-Christophe Grégoire, baryton – Pascal Keller, piano – Dimitri Mastrogloglou, bouzouki – Jean-Claude Marc, récitant.

-Concert donné le 15 septembre 2019, à la cathédrale Saint-Nazaire, Béziers – Les Voix du Canto, 66 rue Max Mousseron, Résidence Mail des Abbés/Bât. C4, 34000. Montpellier – Site : www.les-voix-du-canto.org – e-mail : les voixducanto@gmail.com – direction artistique, Jean Golgevit – direction administrative Monique Carton – (Voir aussi notre article du 3 novembre 2016).

Berthe Morisot, au Musée d’Orsay

“Autoportrait”, Berthe Morisot  © Musée Marmottan Monet, Paris. (1885)

Exposition présentée par le musée national des Beaux-Arts du Québec, la fondation Barnes, le Dallas Museum of Art et les musées d’Orsay et de l’Orangerie – Commissariat Sylvie Patry, conservatrice générale, directrice de la conservation et des collections du musée d’Orsay,  Nicole R. Myers, conservatrice Lillian et James H. Clark de la peinture et de la sculpture européennes au Dallas Museum of Art.

Née en 1841, Berthe Morisot peindra jusqu’à sa mort, en 1896. Degas, Monet, Renoir et Mallarmé organiseront une exposition posthume à la Galerie Durand-Ruel, marchand d’art qui lui avait été présenté par Édouard Manet et qui lui avait acheté quatre œuvres, en 1871. Édouard Manet l’accompagne au long de son parcours artistique jusqu’à sa mort, en 1883. Il peint d’elle en 1872 un portrait, intitulé Berthe Morisot au bouquet de violettes, belle et grave, contemplative. Elle épouse son frère cadet, Eugène, deux ans plus tard avec lequel elle aura une fille, Julie en 1878, mais c’est la peinture qui la dévore. Cette même année, lors de la première exposition des impressionnistes où elle présente son travail, on la remarque : « Le ton chez elle est d’une justesse, d’une délicatesse, d’une finesse exquise. Le motif est bien choisi, les silhouettes sont élégantes, les fonds pleins d’harmonie » écrit la critique (Villiers de L’Isle-Adam, Zola) mais comme tous les impressionnistes, elle n’échappe pas à la moulinette des critiques dans les expositions qu’ils présentent. Un Manifeste de l’Impressionnisme publié en 1876 définissait pourtant les intentions et recherches des artistes de cette nouvelle école.

Berthe Morisot expose à Londres (en 1882, 1892, 1893). Après la mort de son beau-frère Édouard, elle organise avec son mari une grande rétrospective à l’École des Beaux-Arts, début janvier 1885. Elle expose à Bruxelles (en 1886), mais sa première exposition personnelle, une rétrospective montrant quarante-trois de ses œuvres, n’a lieu qu’en 1992. Gustave Geffroy, futur Président de l’Académie Goncourt, écrit dans la préface du catalogue : « Ici la lumière solaire a été analysée et transformée par un vouloir et des mains magiciennes, elle a été conduite à ces révélations par une série d’opérations où il y a le charme et la douleur d’un prestige » et Jacques-Émile Blanche dans  les Entretiens politiques et littéraires : « Elle est la seule femme peintre qui ait su garder la saveur de l’incomplet et du joliment inachevé, dans des toiles très poussées, abandonnées par impatience, reprises avec rage et toujours fraîches comme au premier jour. »

Le Musée d’Orsay met à l’honneur cette grande Dame de la peinture et propose une traversée d’un demi-siècle impressionniste, en plus de soixante-dix toiles et huit sections. La première : « Peindre la vie moderne à l’extérieur et à l’intérieur. » Berthe Morisot travaille sur la figure, et prend les modèles dans son milieu familial, au début particulièrement sa sœur, Edma, elle-même artiste peintre. Elle s’applique au travail de cadrage. Les toiles de ces années-là s’intitulent Vue du Pont le Port de Lorient en 1869, ville où s’était installée sa sœur qui elle, abandonnera le métier de peintre ; Marine, le Port de Cherbourg, en 1871 ; Le berceau, réalisé en 1872, qui fait référence à la naissance de sa nièce, Blanche ; Cache-cache en 1873 de même que La lecture, ou L’Ombrelle verte.

La seconde section a pour titre : « Mettre une figure en plein air » et présente Femme et enfant au balcon, une vue sur Paris datant de 1871/72 ou Eugène en spleen, réalisée à Cowes sur l’Ile de Wight où ils font leur voyage de noces, ou encore La Terrasse, réalisée à Fécamp en 1874, avec vue sur mer. La plupart des toiles sont des huiles que l’on voit évoluer avec le temps et dont la matière s’affinera au fil des ans, mais il y a aussi quelques pastels, ainsi Sur l’herbe, appelé aussi Sur la pelouse, ou encore Dans le Parc, datant de 1874 où l’on voit une femme assise dans l’herbe, sa sœur Edma probablement, avec deux enfants et deux chiens. Berthe Morisot travaille avec une grande élégance l’ombre et la lumière, la transparence des tissus, dans un rapport sensuel à la couleur et qui suggère. Dans les blés (1875) montre l’étendue de la plaine de Gennevilliers.

La troisième section intitulée « Femmes à leur toilette » couvre la période 1876/1894. Berthe Morisot fait poser des modèles professionnels et entre dans leur intimité. Fine observatrice, elle témoigne des codes vestimentaires, traduit dans La Psyché un reflet dans la glace d’une femme de blanc vêtue, un bout de canapé à fleurs et un sol rouge. Elle ose et innove, en montrant y compris ses modèles de dos. La quatrième section présente, d’après une phrase de Jules Laforgue, « La beauté de l’être en toilette » où Berthe Morisot se penche sur le détail vestimentaire comme les cols, jabots, fleurs et accessoires. Ainsi une Femme en noir avant le théâtre (1875), une Jeune femme au divan (1885) portant une robe blanche sobrement décorée, sur un canapé vert, et devant un fond bleu. L’arrière-plan se fond dans le portrait, les robes sont suggérées, le sujet est décentré. Deux portraits de femmes, que les saisons désignent sont aussi présentés : Été (1879) et Hiver (1880). Cette même année, l’État achète pour la première fois un tableau de Berthe Morisot, le Portrait d’une jeune femme en toilette de bal, belle reconnaissance pour une femme artiste, à cette époque-là. Morisot capte la vie dans le jardin de Bougival où la famille passe les étés, ainsi Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival (1881), et elle donne vie au Jardin de Maurecourt où mère et fille sont dans l’herbe (1884). Les jardins sont pour les impressionnistes un thème de prédilection, avec, ou parfois sans, personnages.

La cinquième section, « Fini/non fini – Fixer quelque chose de ce qui se passe. » L’époque étant au canotage, Le lac du Bois de Boulogne (1879) autrement appelé Jour d’été montre deux femmes au milieu du lac et quelques canards. Plage de Nice (1882) dessine la ville au loin, un enfant fait des pâtés de sable, la mère regarde l’étendue bleue ; Jeune fille à la poupée ou Enfant au fauteuil (1884), La Leçon au jardin (1886) où père et fille se font face, assis sur des pliants dans un jardin, un cahier à la main font partie de cette série. Il y a peu de peinture dans les pourtours du tableau. La sixième section nous mène du côté des « Femmes au travail : servantes, bonnes et nourrices » qui entourent la famille Morisot, au train de vie confortable. Elles cousent et tricotent, font la cuisine. Ainsi Femme cousant dans le jardin de Bougival (1881) ou Paysanne étendant le linge, tableau de la même année ou encore une Jeune femme tricotant dans le Jardin (1883) « Fixer quelque chose de ce qui se passe, oh ! Quelque chose, la moindre des choses, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d’arbre… Cette ambition-là est encore démesurée » dit-elle. Son unique Autoportrait (1885) palette et pinceaux discrètement à la main, fut très remarqué et exposé à titre posthume. La septième section est intitulée Fenêtres et seuils et met l’accent sur ce qui lie l’intérieur de la maison à l’extérieur : les jardins d’hiver, balcons, fenêtres et vérandas. Ainsi Après le déjeuner (1881) où une femme portant un chapeau fleuri et un éventail, fait face à l’artiste dans une véranda. Sur la table comme à l’arrière-plan, des fleurs et un jardin. Dans la véranda (1884) où la verdure, de l’autre côté de la vitre, se décline en majesté, ou encore La Lecture (1888) où une jeune fille est assise dans un jardin d’hiver, un livre à la main. Les Carnets de Berthe Morisot (1885 à 1890) avec croquis, notes et citations sont exposés. On y trouve des bribes de textes issus de Baudelaire, Zola, Montesquieu, La Bruyère ou les Frères Goncourt. « Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un homme traitant une femme d’égale à égal et c’est tout ce que j’aurais demandé car je les vaux » écrit-elle.

La huitième section en guise de conclusion fait référence à Virginia Woolf avec Une chambre à soi et s’intitule « Un atelier à soi ». On y voit une Fillette à la mandoline (1890), la Jeune fille au lévrier (1893), ou encore Julie rêveuse (1894), la fille de Berthe Morisot ayant dû faire face à la mort de son père, deux ans plus tôt. « Le rêve c’est la vie et le rêve est près de la réalité. On agit soi, vraiment soi. Si on a une âme elle est là » dit-elle.

Le parcours proposé par le Musée d’Orsay autour de l’œuvre de Berthe Morisot est remarquable. On y découvre la femme et l’artiste, on y réfléchit à la place de la femme dans l’art, au XIXème siècle, et au rapport au temps. Au regard de la détermination qui l’habitait, sans bruit et sans fureur, Berthe Morisot a réalisé une œuvre aussi forte et sensible que celle de ses collègues et amis impressionnistes, et a su trouver sa place. On lui doit d’être dans le même panthéon.

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2019

Du 18 juin au 22 septembre, Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur. 75007 – métro Solférino – site : www.musee-orsay.fr – tél. : 01 40 49 48 14

Les Plateaux de la Briqueterie

“Materia” d’Andrea Salustri   © Laurent Philippe

Plateforme de danse internationale, à la Briqueterie – Centre de Développement Chorégraphique National du Val-de-Marne, en complicité avec le Mac Val et le Théâtre Jean Vilar de Vitry.

La 27ème édition des Plateaux de la Briqueterie a rassemblé sur trois jours quinze compagnies internationales, venant : d’Espagne (Nuria Guiu Sagarra avec Likes, Aina Alegre avec La nuit, nos autres) ; Italie (Claudia Catarzi avec Posare il tempo ; Andrea Salustri avec Materia), République Tchèque (Teresa Hradilkova et Floex and coll. avec Don’t stop ; Brésil (Ana Pi avec O banquete) ; Singapour/Inde et Singapour/Indonésie (Choy Ka Fai, Surjit Nongmeipakam et Choy Ka Fai, Rianto) avec Soft machine ; France (Leïla Ka avec Pode ser ; Arnaud Pirault & Groupenfonction avec We can be heroes, performance participative donnée sur le parvis de La Briqueterie ; Julie Salgues avec De si loin ; Ana Perez avec Répercussions). Au-delà des spectacles, Les Plateaux permettent aux professionnels de se rencontrer au cours de journées de réflexion. Cette année, en partenariat avec Lapas et Kumquat / Performing Arts, ceux qui accompagnent les artistes et s’occupent de diffusion y étaient particulièrement attendus.

Les Journées Européennes du Patrimoine ayant lieu le même jour que la programmation des Plateaux, l’équipe de la Briqueterie (que dirige Daniel Favier) a proposé un parcours chorégraphique avec les artistes de Museum of Human E-motions, Teita Iwabuchi (Japon), Masako Matsushita (Italie), Ming-Hwa Yeh (Taïwan), Sorour Darabi (Iran/France). Par ailleurs, le patrimoine de la danse était à l’honneur à travers les archives de la critique Lise Brunel, danseuse et journaliste, grande spécialiste de la danse – mémoire de la danse léguée par son fils Frédéric Dugied, après la disparition de son frère le chorégraphe et danseur Fabrice Dugied. « Le temps est peut-être venu de redéfinir le sens même de la critique, de redéfinir la danse, de prendre conscience de l’impact de cet art et de ne plus le regarder pour une suite d’images mais pour sa résonance à travers les vibrations humaines qu’il véhicule » avait écrit Lise Brunel qui, pendant plus de cinquante ans a défendu la danse contemporaine et interrogé les plus grands, de Cunningham à Meredith Monk, de Trisha Brown à John Cage. Les Plateaux ont permis l’inauguration du fonds documentaire de Lise Brunel qui a trouvé sa place sur une mezzanine spécialement aménagée dans La Briqueterie.

La journée du samedi 21 septembre proposait plus particulièrement trois chorégraphes. Venant de République Tchèque, Tereza Hradilkov présentait Don’t stop. Jeune danseuse à la forte présence, elle a fait ses premières classes au sein de l’ensemble folklorique Valašek avant de se former au Duncan Center Conservatory et à la Theaterschool d’Amsterdam. Après un séjour de deux mois à New York où elle dit avoir goûté à l’expérience américaine, elle travaille avec différents chorégraphes, en République tchèque et à l’étranger. Elle a notamment participé aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, au Tanzsolofestival de Bonn, au festival Tanec Praha. Après un premier solo, Swish, récompensé par le jury international de la Czech Dance Platform en 2017, elle présente son nouveau solo, Don’t stop. Dans cette pièce elle cherche à entrer en synergie avec la création musicale de Floex (Tomaš Dvořak), clarinettiste, producteur et artiste multimédia qui l’accompagne, à pénétrer l’atmosphère acoustique et électronique qu’il propose. Elle débute tranquillement, puis les mondes sonores qui l’environnent lui permettent de faire émerger des énergies puisées au plus profond. Elle les traduit en créant des espaces de gestuelle personnelle, où son corps peut avancer en saccades ou se dérégler en automatismes à la manière d’un mannequin. Elle monte en puissance pour finir au sol, comme un animal singulier. Continuer ? Don’t stop, Ne t’arrête pas est son leitmotiv.

Julie Salgues convie le spectateur à une performance en deux parties, intitulée De si loin, j’arrive : dans la première, elle le convoque près d’elle et l’installe autour d’un cercle de lumière à l’intérieur duquel elle travaille au sol. Elle l’invite, dans une seconde partie à regagner sa place dans les gradins et trace un parcours labyrinthique mystérieux qui laisse quelque peu sur sa faim. Formée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon et en arts du spectacle, les chorégraphes référents avec lesquels elle a travaillé sont Philippe Saire et Clara Cornil. Depuis 2000, elle a engagé un fructueux dialogue en collaboration avec les chorégraphes, Nathalie Collantes, Myriam Gourfink et Dominique Brun et prépare trois solis en lien avec eux.

Dans Materia, Andrea Salustri joue avec des matières qu’il transforme en objets visuels (boules et feuilles de polystyrène) tel un magicien. Il explore les possibles de leur rencontre avec l’espace et les provoque avec le souffle de ventilateurs posés en différentes configurations. Son travail est d’une grande précision, à la fois intime par des lumières travaillées qui créent l’illusion, et théâtral par une inspiration singulière et personnelle. Originaire de Rome, Andrea Salustri a appris le jonglage et la manipulation du feu et a d’abord travaillé comme artiste de rue. Il s’est mis au piano en autodidacte depuis une dizaine d’années et a obtenu son diplôme de philosophie à l’Université La Sapienza de Rome. Il s’est récemment installé à Berlin pour étudier la danse contemporaine. Autant dire que c’est un touche-à-tout de talent qui louvoie entre le cirque contemporain, la danse et le théâtre d’objets et qu’il construit un langage à lui, bien spécifique. Ce qu’il fait de feuilles de polystyrène qui volent au vent en une subtile chorégraphie, est gracieux et maîtrisé, on se laisse porter.

Pour compléter les différentes formes de rencontres entre le public et les danseurs, des performances se déroulent dans le hall de la Briqueterie et des projections vidéo sont proposées en mezzanine, en partenariat avec le Festival international de Vidéo-Danse de Bourgogne. La Compagnie italienne Dehors/Au-delà fondée par Elisa Turco Liveri et Salvatore Insana, ayant été sélectionnée en 2018 après un appel à projets de résidence pour soutenir la vitalité de la création en vidéo-danse, présente Aporia, un duo artistique explorant par la danse et l’image ce concept grec qui exprime l’impossibilité de se positionner.

Les Plateaux sont ce lieu d’échanges et de rencontres entre professionnels, entre publics et professionnels. Ils sont ce point d’ancrage pour la danse dans la ville de Vitry, qui donne du sens à l’élaboration d’une politique artistique et culturelle par le partenariat développé avec le Mac Val, Musée d’art contemporain et avec le Théâtre Jean Vilar, lieux de métissage entre les disciplines et les géographies, lieux d’ouverture sur les expériences et la modernité.

Brigitte Rémer, le 28 septembre 2019

Du jeudi 19 au samedi 21 septembre 2019 – métro Porte de Choisy, puis bus 183, arrêt La Briqueterie – site : alabriqueterie.com – tél. : 01 46 86 70 70.